梦李白:二首
杜甫
死别已吞 声,
生别常恻恻。
江南瘴疠地,
逐客无消息。
故人入我梦,
明我长相忆。
恐非平生魂,
路远不可测。
魂来枫林青,
魂返关塞黑。
君今在罗网,
何以有羽翼?
落月满屋梁,
犹疑照颜色。
水深波浪阔,
无使蛟龙得!
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Li Bai en rêve : deux poèmes
Du Fu (traduction PV)
Quand mort sépare on ravale ses larmes,
__ quand vie sépare on pleure et pleure encore.
Du sud du fleuve, ce lieu pestilentiel,
__ les exilés n’envoient pas de message.
Mon vieil ami m’est apparu en rêve —
__ preuve que je pense à lui constamment.
Ce n’est, je crains, pas l’esprit d’un vivant,
__ la route étant démesurément longue !
L’esprit vient quand les érables sont verts
__ et s’en va quand les fortins s’assombrissent.
Toi qui es pris, maintenant, dans les rets,
__ comment as-tu pu acquérir ces ailes ?
La lune tombe aux poutres de la chambre
__ on la croirait éclairer ton visage !
L’eau est profonde et les vagues puissantes,
__ gare à ce que les dragons ne t’attrapent !
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Commentaire
Traduire Du Fu, considéré comme le plus grand poète chinois, le plus subtil et le plus fin, n’a rien d’évident. Heureusement, nous avons la chance d’être les contemporains de Nicolas Chapuis qui traduit ses Poésies complètes pour les Belles Lettres. Tout annoté, en quinze volumes. Après avoir mis au point la première version de ma version, je lui ai envoyé un message, en lui soumettant ma traduction, et en lui posant une question relative aux césures : habituellement la césure est 2-3 pour les vers de 5 caractères. Je me demandais s’il fallait ou non donner un sens particulier à une césure qui modifiait ce rythme canonique, comme ici le 6ème vers, qui est en 1-4. Dans ma traduction, où les vers de 5 caractères sont rendus par des décasyllabes avec une césure en 4-6, je reproduis en effet cette irrégularité : « Preuve que je… » met très en valeur ce « je ». Je me demande s’il n’y a pas là de ma part un peu de zèle.
Très généreusement, Nicolas Chapuis m’a immédiatement répondu : « oui, la règle générale est 2/3, mais Du Fu ne cesse d’en jouer (1/4 ou parfois 4/1 ne sont pas des bizarreries). Il n’y a pas de signification particulière en dehors de l’impression produite par la prosodie. Ne pas oublier que tout cela était chanté et, surtout, que l’unité n’est pas le vers, mais le couplet (le distique). » J’ai donc fait du zèle. Comme sans doute pour le deuxième vers, où l’on trouve ce phénomène typique de la poésie classique chinoise, le redoublement onomatopéique, ici 恻恻 (cece) qui exprime la tristesse et que j’ai rendu par « pleure et pleure ». De tels redoublements sont bien sûr beaucoup moins fréquents en français, — mais c’est aussi l’intérêt de la traduction qu’en important un poème dans notre langue, nous fassions (par, précisément, notre zèle) bouger celle-ci, même très légèrement.
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