Marigot 7

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Notre existence était bourbeuse, l’eldorado des verts bosquets lointain. Avant la construction du premier pont, il fallait négocier avec le fleuve comme avec un supérieur colérique (c’est la facilité d’appeler un dieu) aux décrets limoneux. On ne disait jamais « le fleuve », ne lui donnait ces noms d’objets transitionnels : Mâchecroute, Tarasque, Doudou. On lui jetait des pierres ! balafrait le courant ! envisageait une disparition ! Cette chose qui s’était contournée tortueusement dans des nœuds blancs avant de s’éployer en une énorme phrase ramifiée et souveraine, avait creusé une vallée large prenant soudain conscience d’elle-même à son passage, réveillée comme la bouche engourdie d’un coma au retour des salives, désirs, algues, saumons rapides — rires ! Ah, les rires des enfants dont on n’attend plus le bourdon, dont on plisse les yeux pour délirer la parodie dans l’imbroglio ridicule des chiffon-nuages. On ne peut compter ni sur le paysage, ni sur l’allégorie. Il reste le cadrage.

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[Aquarelle de Jérémy Cheval]

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