Un poème

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Quatre ans après, m’est venue la même idée, en descendant de Primrose Hill à Regent’s Park : les devantures proprettes, les vendeurs de café, la petite librairie où l’on ne trouve que de bons livres (c’est là que vécurent W. B. Yeats, Sylvia Plath) puis les pelouses tondues, désertes, les bambous nonchalants, les oies dégingandées. Il a bien fallu faire venir ces pierres, les dresser ; ces plantes, les faire pousser. Donc ailleurs, creuser des carrières ; fabriquer du papier ; remplacer des forêts primaires par des rangées de caféiers ; fouetter des esclaves. La ville fait croire qu’elle est un paysage, mais tel un tapis c’est plutôt un ensemble de nœuds : au revers de la figure harmonieuse, les fils continuent de grouiller dans les banlieues, les campagnes et les colonies. Combien coûte de chaos à la globalité l’entretien continu d’un tel ordre urbain miniature ? L’étonnant, c’est que les touristes n’en profitent pas du tout ; ils préfèrent dans Londres se ruer partout ailleurs que dans ces rues trop propres et ces allées trop calmes, qui transpirent le début du XXe siècle. Nous connaissons ce qu’ils détestent : ici, on se sent dans un livre. Les choses y composent un angoissant poème. Ils donneraient tout pour pouvoir continuer à consommer, hurler, rire et vomir dans les brouillons.

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