La nuit d’automne tombe au refuge

山居秋暝
王维

空山新雨后,天气晚来秋。
明月松间照,清泉石上流。
竹喧归浣女,莲动下渔舟。
随意春芳歇,王孙自可留。

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La nuit d’automne tombe au refuge
Wang Wei (701-761)

Montagne vide, après la pluie nouvelle,
dans l’air du soir, l’automne nous arrive.

La lune claire entre les pins scintille,
la source pure entre les pierres roule.

Le bambou craque (un retour de laveuses),
le lotus bouge (un bateau de pêcheurs).

Les parfums du printemps s’en vont frivoles,
mais tu peux t’établir, si tu es noble.

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Commentaire :

Tout en ayant l’air de se contenter d’accumuler des annotations sensibles, ce poème déploie un jeu virtuose sur les structures — en premier lieu desquelles, bien sûr, le parallélisme, chaque deuxième vers se développant dans l’écho du premier qu’il reprend et conteste. Par exemple, le premier caractère qui qualifie la lune au vers 3 signifie « claire » au sens de « brillante », et celui qui qualifie la source, au vers suivant, signifie « clair » au sens de transparent. Ou encore, le premier caractère du premier vers (« kong ») signifie vide (il se rapporte ici à la montagne, déserte) ; mais il peut signifier aussi « air », « atmosphère », et forme avec le caractère du deuxième vers (« tian », qui signifie jour) le mot « ciel » (« tiankong »). Il va de soi que la place identique de ces deux mots dont l’un est employé en un sens tout différent de celui qui le rapporte à l’autre, créé un parallélisme riche. Les deux derniers vers, de même, tirent du parallélisme un jeu sur l’ambiguïté : le premier signifie littéralement « aléatoires / les parfums du printemps / se reposent », mais pourquoi « aléatoires » ? Et veut-il dire que les parfums du printemps sont restés parmi nous (ils se reposent, avant de repartir) ou au contraire qu’ils ont disparu (ils s’endorment) ? Le dernier vers, qui signifie littéralement « l’engeance du noble peut rester », cache un jeu de mots sur Wang (« noble », mais aussi le nom du poète) qui rétroagit sur « aléatoire » (dans un contraste entre le caprice des parfums, et la droiture du noble) mais rend un peu flottant la signification du dernier caractère : s’agit-il de dire que Wang (le poète) et les siens savent conserver (dans le poème) les parfums enfuis du printemps, ou que l’engeance des nobles peuvent (contrairement aux parfums) rester un temps dans cette montagne ? Les traducteurs varient. Les commentateurs notent malgré tout de concert que le dernier vers est une réponse à un poème des Élégies de Chu : « Toi qui es noble, reviens : tu ne peux t’établir dans la montagne ! » Dernière remarque : tous les vers de ma traduction sont décasyllabes, mais le dernier distique change le rythme puisque des 6-4 succèdent aux trois séries de 4-6 ; manière de mettre en évidence qu’il s’agit de quelque chose comme la morale du poème.

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