La composition d’un poème ressemble parfois à de la science expérimentale, comme dans l’Ève future ou Frankenstein. L’enjeu est alors de fabriquer, à partir de morceaux de langage morts, un poème vivant.
On comprend que pour l’ingénieur fabriquer du vivant puisse être une fin en soi ; mais cette seule caractéristique ne saurait justifier à elle seule l’intérêt du lecteur ou du spectateur : c’est sans doute la raison pour laquelle Frankenstein n’est pas seulement animé, il est de surcroît effrayant. On peut raisonnablement penser que l’effroi (fictif) est un type de sentiment qu’un lecteur ou qu’un spectateur peut rechercher.
Il en va de même pour le poème ; si c’est bien une prouesse d’animer la langue dans un poème vivant, cela ne saurait suffire à intéresser (sinon les collègues cherchant à insuffler à leur tour l’esprit dans la matière). Le poème doit aussi être, par un côté ou par un autre, intéressant. (Bien sûr, le poème ne doit pas être intéressant, parce qu’il ne doit rien ; mais on peut formuler les choses ainsi : on remarque que certains poèmes, en plus d’être vivants, intéressent des lecteurs, je voudrais simplement savoir si cela tient à quelque vertu inhérente et en quoi elle consiste).
D’abord, il me semble évident qu’il est plus facile pour un poème d’être intéressant lorsqu’il est composé dans des formes reconnues par le lecteur : la forme connue offre un cadre de visibilité, un ring dont les cordes sont apparentes, entre les limites desquelles les coups sont repérables. Un match de boxe est plus intéressant à regarder qu’une baston de rue ; de même, les règles du poème qui servent à la stylisation des gestes poétiques permettent lisibilité (si le panel de coups se réduit à une dizaine, on les reconnait mieux) et commensurabilité (l’alexandrin de Racine, comme l’uppercut de Tyson, est meilleur que celui de Boileau ; alors qu’il est difficile de comparer les vers libres de deux vers-libristes).
Mais cette condition n’est bien sûr ni suffisante (combien de croûtes en vers comptés ?) ni nécessaire : le Coup de dés de Mallarmé, les poèmes de Paul Celan, Paterson de WC Williams, pour prendre des exemples variés, sont parfaitement intéressants. C’est, me semble-t-il, parce qu’ils reprennent de la prosodie classique l’idée (dont la forme classique était l’un des opérateurs) d’une dramaturgie du poème. Pour être intéressant, un poème doit être le lieu d’un drame. J’essaierai de développer ça la prochaine fois.
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